Retrait de la CPI : le Burkina Faso, le Mali et le Niger amorcent une souveraineté judiciaire à visée géoéconomique

Sahel : C’est une rupture diplomatique qui s’inscrit dans une stratégie de repositionnement géopolitique assumée. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger, désormais unis au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), ont annoncé lundi soir leur retrait conjoint de la Cour pénale internationale (CPI), dénonçant un « instrument de répression néocolonial » et affirmant vouloir « affirmer pleinement leur souveraineté ». Une décision politiquement symbolique mais aussi économiquement significative, qui pourrait redessiner les contours de la coopération juridique et financière dans une région en recomposition.

Un désengagement du système multilatéral occidental

Cette annonce, prise avec effet immédiat – bien que le retrait effectif ne sera juridiquement entériné qu’un an après sa notification formelle à l’ONU – marque une étape supplémentaire dans le processus de désengagement des institutions multilatérales occidentales opéré par ces régimes militaires depuis leur accession au pouvoir entre 2020 et 2023. À travers cette décision, les dirigeants de l’AES cherchent à affirmer une souveraineté non seulement politique, mais aussi judiciaire et, à terme, économique.

En critiquant l’inefficacité de la CPI à poursuivre certains crimes internationaux majeurs tout en ciblant prioritairement des personnalités africaines, les États de l’AES renvoient à une critique récurrente : celle d’une justice internationale à géométrie variable, où les puissances du Nord échappent largement aux poursuites. L’argument, s’il est contestable sur le plan du droit, révèle une fracture de perception quant à l’égalité de traitement dans les institutions internationales.

Vers une Cour pénale sahélienne : institutionnaliser l’autonomie régionale

L’AES a annoncé son intention de créer une Cour pénale sahélienne, à vocation régionale, avec pour mission de juger localement les crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Si le projet reste juridiquement embryonnaire, il s’inscrit dans une logique de consolidation d’un appareil judiciaire indépendant des circuits occidentaux, à l’image des récentes tentatives d’autonomisation monétaire via la remise en question du franc CFA.

Sur le plan économique, cette volonté d’endogénéisation des mécanismes judiciaires pourrait s’accompagner d’une reconfiguration des flux d’aide et d’investissements. L’éloignement des institutions occidentales – à commencer par les agences onusiennes et européennes – ouvre la voie à un rééquilibrage vers d’autres partenaires, notamment russes, turcs, iraniens ou chinois, déjà actifs dans les secteurs miniers, énergétiques et sécuritaires.

Conséquences sur l’environnement des affaires et la coopération internationale

Le retrait de la CPI ne manquera pas d’interroger les investisseurs internationaux sur la solidité de l’État de droit dans la région. La perception du risque juridique pourrait s’aggraver, notamment pour les entreprises opérant dans des secteurs sensibles comme l’extraction minière, les infrastructures ou la sécurité. De nombreux partenaires bilatéraux conditionnent en effet leurs engagements à des garanties de transparence judiciaire et de respect des droits humains – domaines précisément mis à mal par les accusations récurrentes portées contre les forces armées locales.

Cependant, cette stratégie d’émancipation peut aussi séduire certains capitaux dits « non-alignés », moins regardants sur les standards juridiques occidentaux, mais enclins à investir dans des environnements où l’État joue un rôle central et sans contre-pouvoirs externes. C’est dans ce cadre que s’inscrit le rapprochement stratégique avec la Russie, dont le président Vladimir Poutine fait lui-même l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI depuis mars 2023.

Une redéfinition régionale du multilatéralisme

Ce retrait collectif signe peut-être le début d’une dynamique plus large en Afrique subsaharienne, où plusieurs États contestent depuis des années la légitimité des institutions héritées de l’ordre international post-guerre froide. Il pose aussi une question cruciale : celle de la capacité des structures régionales africaines à construire une gouvernance autonome, capable de combiner justice, sécurité et développement économique.

Car au-delà du symbole politique, le défi reste immense : dans un contexte de violences persistantes, de fragilités institutionnelles et de dépendance budgétaire, le pari d’une justice « souveraine » ne pourra être tenu que si les moyens économiques, humains et politiques suivent. Faute de quoi, la rupture avec la CPI pourrait se révéler moins comme un acte d’émancipation que comme un isolement de plus.

Encadré : Ce que prévoit le Statut de Rome

Le retrait d’un État de la Cour pénale internationale est prévu par l’article 127 du Statut de Rome. Il prend effet un an après la notification formelle au secrétaire général de l’ONU. Durant cette période, l’État reste juridiquement lié aux obligations issues du Statut. La CPI conserve également des compétences pour les crimes commis durant la période de ratification.

Afric-eco/Nathalie MENGATA

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